UN EXPERT PEUT-IL EN CACHER UN AUTRE ?
Les mises en scène expertales, jeux d’ombres et de lumières…
ou
Comment les experts peuvent-ils (si facilement) tromper les juges ?
(à l’insu de leur plein gré ?)
Le point de vue du scientifique
Et si le savoir (ou sa fiction ?) se faisait outil de pouvoir pour servir d’autres objectifs que ceux auxquels on le destine …??
Tout un chacun sait que nombre de faits échappent à notre attention et à notre perception, ne seraient-ce que certains visages que nous croisons au quotidien sans les voir, les angles morts ou des panneaux de signalisation en conduisant… et bien d’autres.
A l’inverse, une information, quand elle vient nous surprendre par son caractère brusque, bruyant ou son intensité colorée, nous met en alerte, pouvant signifier un danger soudain exigeant de nous une adaptation immédiate.
Les informations les moins visibles sont bien sûr celles qui sont inapparentes, cachées à notre vue ou dans l’obscurité,
mais aussi les éléments immobiles qui nous sont familiers,
ou trop minimes pour en saisir la gravité potentielle.
Ce qu’un scientifique dénomme « les faux négatifs » : ce qu’on ne voit pas et qui peut pourtant faire sens…
Pour les amateurs de corridas et de jeux taurins, il n’échappe à personne que c’est le mouvement-même de la muleta qui capte l’attention du toro pour la détourner de l’épée ou du puntillo mortels.
L’infirmière n’utilise-t-elle pas le même processus de « distraction attentionnelle » en stimulant un autre point du corps pour que sa piqûre passe inaperçue ou presque ?
L’expert pourrait-il être parfois comme un prestidigitateur ? capable de se jouer des éléments factuels en organisant leur mise en scène, privilégiant la mise en lumière d’éléments pré-sélectionnés … tout en laissant dans l’ombre ceux qui les contredisent…
Dès lors, la logique de l’expertise ne s’inverserait-elle pas, qui, n’allant plus des faits à leur interprétation, consisterait plutôt en une sélection des faits au service d’une interprétation préalable, qu’ils viendraient servir et illustrer à titre de morceaux choisis ?
Les faits en fonction d’une interprétation choisie ?
Marie-Claude Martin, alors Vice-Présidente du Tribunal de Grande Instance de Paris, décrivait en 2006 quatre personnalités d’experts (in Experts N° 73 –
- L’expert sans problème
- L’expert aventureux, téméraire ou intéressé
- L’expert optimiste qui dit toujours oui
- L’expert stressé qui ne sait pas dire non
Dans sa présomption de bonne foi et d’innocence, n’oublierait-elle pas l’expert qui, certes intéressé, ferait de son supposé savoir une apparence de normalité, voire un simulacre de probité faisant écran à la réalité des faits ?
Hannah Arendt disait-elle autre chose dans ses travaux sur la banalité du mal ? face à un Eichmann à Jérusalem si banalement « normal » dans sa soumission bureaucratique (http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Quarto/Les-origines-du-totalitarisme-Eichmann-a-Jerusalem)
Notre société n’en donne-t-elle pas chaque jour les preuves, dans son évolution vers le Monde sans limite décrit en 1997 par le psychanalyste Jean-Pierre Lebrun (https://www.cairn.info/un-monde-sans-limite–9782749210254-page-26.htm), et son tout dernier livre « L’immonde sans limite » (https://www.editions-eres.com/ouvrage/4535/un-immonde-sans-limite) et dans les violents démentis d’humanité que peinent à cacher certains discours de bien-pensance trahis par les actes posés au plus haut de la société ?
Ou encore Roland Gori dans « La fabrique des imposteurs » (https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=Roland+Gori+%3A+la+fabrique+des+imposteurs)
La crise sanitaire actuelle ne montre-t-elle pas chaque jour les limites et discordances des supposés savoirs, vérités d’un instant présent, erreurs du lendemain ?
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« Le pouvoir ne détient sa force que de notre cécité »
Roland Gori dans « La nudité du pouvoir » (https://www.gauchebdo.ch/2018/12/06/macron-seul-avec-sa-pratique-bonapartiste/)
L’expert judiciaire est un auxiliaire de justice nommé par le juge qui requière les compétences d’un technicien pour l’éclairer dans son jugement.
Ce dernier doit donc accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité (article 237 du Code de procédure civile).
Dès lors, comment le juge peut-il, sans disposer des compétences de l’expert, forger son opinion autrement que par une confiance aveugle en l’expert qu’il a nommé ? au risque d’une délégation de pouvoir à celui qui dispose d’un supposé savoir non partagé, par essence « surplombant » celui du juge ?
Si tant de justiciables sont mécontents des rapports d’expertise, cela ne s’explique-t-il pas par le fait que près de 90 % des rapports d’expertise sont validés par le juge, faute de pouvoir se rendre sur les lieux de l’expertise pour en juger directement par lui-même, et surtout faute de temps face au manque de moyens de la Justice.
La législation prévoit bien quelques garde-fous, du moins sur le respect des formes et notamment le respect du contradictoire. Par contre, le prononcé de nullité pour défaut de qualité (incohérence majeure ou partialité flagrante du rapport) est exceptionnel.
https://food4learning.com/2016/04/07/une-fable-sur-linterdisciplinarite-les-6-aveugles-et-lelephant/
De sorte que l’interprétation de l’expert est, de par sa présomption de savoir, incontestable, mais incontestable parce qu’incontrôlable ?
Suffit-il qu’une expertise soit d’apparence crédible pour qu’elle le soit en réalité ?
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Comment ne pas s’interroger en effet devant la validation unanime d’un rapport d’expertise qui ne mentionne que « pour mémoire » la « poutre » biblique d’un évidement quasi-complet de charpente en situation pré-fracturaire… :
…mais conclut en dernier ressort à l’absence de préjudice sur la mise en lumière d’une « paille », celle d’une fissure de façade pouvant échapper à l’oeil du premier venu ? :
La dite fissure ne sert-elle pas ici de « muleta », autrement dit de distracteur attentionnel : « muleta » dont le rôle est de détourner du dégât le plus important le regard d’un lecteur collant sans recul à la soupe qui lui est servie ?
Fascination de l’image, puissance de son instrumentation dans le temps et dans l’espace !
L’exégèse expertale mérite en effet d’être vigilant tant dans les faits que les discours, et donc de :
- questionner l’exhaustivité du relevé de preuves, sans oublier les éléments factuels paraissant mineurs mais essentiels à établir les liens de causalité …
- élargir le champ d’investigation à la recherche de zones d’ombre, angles morts et faits occultés, et pour quelle raison ?
repérer, sans se laisser embarquer, d’éventuelles manoeuvres de distraction attentionnelle menant à des fausses pistes dilatoires ou des impasses … - questionner la hiérarchie et la responsabilité respectives des diverses constatations ?
- enfin de rester vigilant aux incohérences éventuelles, techniques ou analytiques et aux orientations et conclusions ainsi données au rapport d’expertise, au risque d’en inverser complètement la logique si les prémisses sont fausses
Nous ne doutons bien sûr pas un seul instant qu’un expert puisse manquer, outre aux règlements et obligations relatifs à sa profession et à sa mission, à la probité et à l’honneur, même pour des faits étrangers à ces missions (décret du 23 novembre 2004).
L’expert n’en est-il pas moins homme ? soumis aux tentations d’un savoir dont le juge leur octroie le pouvoir à défaut d’en assurer le contrôle, le monde des experts est-il si vaste qu’il soit en mesure de s’extraire des enjeux relationnels et économiques du monde qui l’entoure ?
Au risque d’une « République » des Experts ?…
Docteur Anne de Villepin
Ancien Praticien hospitalier en neurologie du CHU de Montpellier
Membre du Conseil d’administration de la Société de neurophysiologie clinique de langue Française SNCLF
Psychiatre responsable des soins en établissement médico-social
Membre de l’Association Lacanienne Internationale ALI
Sophrologue membre du Conseil d’administration de la Société Française de Sophrologie SFS